onderzoek
Laudatio uitgesproken door prof. dr. Hélène Casman
Laudatio voor Mevr. Simone Veil
Uitgesproken door prof. dr. Hélène Casman
Madame,
C’est avec un grand respect, beaucoup d’humilité et une émotion certaine que je prends la parole que vient de me céder le recteur de mon Université pour prononcer votre éloge à l’occasion de la remise du Doctorat Honoris Causa.
Cette Université, Madame, vous rend hommage dans la continuité de ce qui la caractérise, qui fait sa force et son originalité.
Nous voulons honorer votre courage et la ténacité de vos convictions.
Nous avons nous-mêmes de qui tenir.
Notre Université, née de l’Université Libre de Bruxelles – l’Université francophone et ensuite bilingue dont nous sommes issus, et qui est donc notre Université Mère – a été fondée, comme nous l’a rappelé notre recteur, sur des bases de liberté de pensée et d’humanisme, pour amener ses étudiants à sonder librement les sources du vrai, du bien et du bon. Mais cela vous le savez, puisque notre Université soeur vous a déjà, bien avant nous, décerné un doctorat honoris causa.
Permettez-moi néanmoins de rappeler un épisode marquant de l’histoire de notre Alma Mater. Dans la tourmente de la guerre, l’Université libre de Bruxelles décide, le 24 novembre 1941, de fermer ses portes. Elle refusait de suivre les injonctions de l’occupant ; elle a décidé de résister ouvertement, de faire savoir à ces autorités que certains sacrifices et certaines mesures ne seraient pas acceptées. Le sens de l’honneur de la dignité humaine, sentiment du devoir envers la patrie, envers l’Université, envers la jeunesse, envers soi-même, commandaient ce refus. Dès le lendemain, 25 novembre, tous les cours étaient suspendus. Huit professeurs, membres du conseil d’administration, furent arrêtés et emprisonnés à la forteresse de Huy pendant trois mois. Beaucoup d’autres sont dans des réseaux de résistance. L’enseignement est poursuivi dans la clandestinité, souvent au domicile des professeurs. L’Université ne rouvrira ses portes qu’en 1945.
En ce début du 21ième siècle, la Vrije Universiteit Brussel maintient cet idéal de pensée libre, de libre examen, de tolérance et d’humanisme.
Aujourd’hui, Madame, notre Université salue et reconnaît vos immenses qualités, et vous prie d’accepter le doctorat honoris causa. Elle s’incline, humblement, devant la femme que vous êtes, vous qui avez fait montre de tellement de ténacité et de conviction, et qui en êtes devenu un symbole.
Vous avez connu et vaincu, par votre courage, l’horreur de la déshumanisation des camps dont vous êtes revenue, écrivez-vous, comme d’un “monde où l’on avait voulu nous bannir de l’humanité”. Vous avez puisé dans cette atroce expérience la force d’affronter dans votre action publique des oppositions parfois dures, parfois même acharnées.
Quel chemin parcouru depuis Auschwitz, le courage de revivre après l’enfer, mais aussi celui d’affronter ceux qui ne savent pas, ne comprennent pas, qui sont gênés ou trop pudiques pour en parler ; mais pire, il y avait ceux qui sont sceptiques et qui ceux qui banalisent.
Vos études vous auraient bien mené au barreau, mais, famille oblige, vous font vous diriger vers la magistrature, et puis l’administration pénitentiaire. Vous êtes là aussi, préoccupée de l’essentiel : la condition pénitentiaire ne peut pas générer l’humiliation.
Puis vous êtes passée aux affaires civiles, et ensuite au Conseil supérieur de la Magistrature.
En 1974 vous entrez pour la première fois au gouvernement en tant que ministre de la Santé (poste qui vous sera confié une deuxième fois en 1993). C’est là que vous allez vous investir avec force et détermination dans le projet de réforme de la législation sur l’avortement. Vous présentez votre projet en ces mots “… mais c’est avec la plus grande conviction que je défendrai un projet … qui a pour objet de mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et d’apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps”.
L’adoption du texte de loi le 20 décembre 1974 ne s’est pas faite sans accroc; mais vous avez obtenu qu’une majorité se prononce en sa faveur, car le combat que vous meniez dépassait de loin et surtout de haut les querelles politiques partisanes. Il fallait du courage et de la persévérance. L’écrivant Philippe Sollers vous décrit “Simone Veil était magnifique. Au milieu des faux-fuyants, des hypocrisies, des dérobades elle se dressait, nette, évidente comme la voix de la vérité. Son regard vient de loin, on sait de quelle épreuve sans nom, et va plus loin que la scène présente.”
Vous avez en effet insisté sur ce qui est essentiel : que la décision de faire pratiquer l’avortement, qui est toujours un drame, ressortisse de la décision ultime de la femme. Que d’autres ne décident pas pour elle. Les femmes françaises vous en sont reconnaissantes.
Elle l’ont confirmé récemment, vous désignant, avec Jeanne d’Arc et Marie Curie comme les trois femmes qui ont le plus fortement marqué l’histoire de France.
Vous avez donc joué un rôle phare pour bien des femmes.
Vous êtes la première femme à occuper le poste de secrétaire général du Conseil Supérieur de la Magistrature.
En 1993 vous devenez la première femme Ministre d’Etat.
En 1998 vous êtes nommée membre du Conseil Constitutionnel.
Mais nous ne nous y méprenons pas : vos préoccupations ne sont pas uniquement féminines. Votre attention et votre ardeur se portent vers tout ce qui, à vos yeux, mérite le combat, et vous êtes là, chaque fois qu’il vous semble requis de se battre, quelque soit le degré de difficulté de votre tâche et quelque soit l’acharnement de certains à vous décourager.
En 1979, Présidente du Parlement Européen, élue pour la première fois au suffrage universel, vous déclarez : “Quelles que soient nos différences de sensibilité je pense en effet que nous partageons la même volonté de réaliser une communauté fondée sur un patrimoine commun et un respect partagé des valeurs humaines fondamentales.”
Votre parcours est donc empreint d’humanisme et lié en outre à l’histoire de l’Europe, que vous connaissez et dont vous percevez les particularités et les difficultés avec beaucoup de sagesse et de lucidité, sans aucun leurre. Avec beaucoup d’objectivité : qualité presque aussi rare que le courage.
Madame, mon temps de parole a été limité par des contraintes d’ordre pratique auxquelles je dois me soumettre. Il me faut donc conclure.
Pour ce faire, je voudrais rendre hommage à votre grandeur d’esprit. Vous en avez fait la démonstration dans des termes limpides dans le discours que vous avez prononcé le 26 janvier 2006 à Amsterdam en tant que Présidente de la Fondation de la Mémoire de la Shoah:
“Construire un monde dans lequel un nouvel Auschwitz ne soit plus possible dépend de chacun d’entre nous. Cela passe par l’éducation, un travail de chacun sur soi et par une attention permanente portée à l’autre. Quand nous reconnaissons en l’autre quelque chose qui nous est commun cela s’appelle de la fraternité. Cela s’appelle humanité. Il nous appartient de veiller à ce que nos gouvernements et nos institutions démocratiques en soient les garants.”
Madame, notre Vrije Universiteit Brussel se doit, en vous honorant, de vous remercier d’être celle que vous êtes, et d’accepter d’être pour nous tous, cet exemple de courage et de ténacité qui fait changer les choses lorsque l’humanité requiert qu’elles le soient, et qui entretient et nourrit le besoin de ne pas se soumettre. Merci donc, pour tout cela que vous nous donnez, Madame. Merci d’accepter ce doctorat honoris causa.
J’ai dit.
Hélène Casman
Doyenne de la Faculté de Droit et de Criminologie
Vrije Universiteit Brussel